Sanjuro

by - mai 21, 2018



Dans l’œuvre de Akira Kurosawa, les influences sont nombreuses car c'est un auteur qui est aussi bien marqué par la culture des autres, que par sa propre culture. En cela il n'y a rien d'étonnant à retrouver une multitude d'auteurs qui traverse sa filmographie comme des auteurs russes (Gorki, Dostoïevski), anglais (Shakespeare), belge (Simenon) ou encore américain (Ed McBain). Mais cela ne s’arrête pas à ça, il y a aussi l'influence du théâtre no, du kabuki, des films d'époques typiquement japonais (Jidai-geki) ou encore celle du cinéaste américain John Ford, connu en partie pour ces westerns. Et on peut dire que cette admiration, Akira Kurosawa lui rend bien ! Du western on en retrouve dans « Les Sept Samouraïs », mais surtout dans le diptyque « Yojimbo/Sanjuro ».


C'est le seul exemple où vous trouverez une suite à un film du maître, car « Yojimbo » fut un succès colossal et cela bien au delà des espérances de la Toho. Et lorsque le studio revient à la charge, avec comme objectif une suite, A.K reprend un projet antérieur à Yojimbo, qu'il adapte à la demande et qu'il réalise. « Sanjuro » dépassa très vite le succès de son aîné, si bien que quelques années plus tard, cela à donné des idées à un certain Sergio Leone, qui remake l'histoire de ce rônin au comportement si singulier ( En se basant sur le premier des deux films, tout en oubliant de créditer l'auteur du script et Akira Kurosawa).

« Le samouraï rônin Sanjuro Tsubaki prend sous son aile une bande de jeunes guerriers inexpérimentés et les aide à déjouer un complot contre le chambellan. Jouant de ruse avec les conspirateurs, Sanjuro se révélera un tacticien hors pair, avant de se confronter avec le redoutable Muroto, bras droit du chef des comploteurs. »


Lorsque j'ai découvert « Yojimbo », ce qui m'a le plus marqué au delà du film en lui même, c'est la naissance du personnage « Sanjuro » ! Ce rônin (Un samouraï sans Maître) est un électron libre qui voyage au grès de ses envies et qui rééquilibre quand l'envie lui prend la balance de la justice. Il est malin, nonchalant, redoutable et terriblement bien incarné par la muse du maestro Toshiro Mifune. Bref un nouveau personnage inoubliable, qui rejoint sans sourciller, le bandit Tajomaru, l'intrépide Kikuchiyo, le Général Rokurota Makabe et l'immense Kyojio Nilde (Akahige/Barberousse), tous interprétés par Toshiro Mifune. Et à chaque nouvelle découverte, le regret était immense, de ne pas voir un autre film, avec l'un de ces personnages, pourtant c'est ce qui est arrivé, avec « Sanjuro », sortie 1 ans après le premier volet « Yojimbo », l'audacieux ronin était de retour.

Pour mettre en œuvre le désir de la Toho, qui souhaitait cette suite, Akira Kurosawa reprend son idée d'adapter le roman « Peaceful Days » de l'auteur Shugoro Yamamoto (Cet auteur il le retrouvera pour deux autres adaptations, l'une en 1965 (Barberousse) et l'autre en 1970 (Dodes'kaden)). C'était un projet qu'il avait mené avant Yojimbo et le travail était bien avancé, car des acteurs étaient castés, ainsi que le réalisateur (Hiromichi Horikawa), tandis que lui ne devait que le produire. Puis il y a eu Yojimbo avec le succès qu'on lui connaît, où A.K pioche déjà des éléments du livre pour son film, avant d'y retourner pour son « Sanjuro ». Et pour écrire son film, il s'entoure de deux scénaristes, deux collaborateurs réguliers, avec Hideo Oguni (Vivre, Les 7 Samouraïs, Le Château de l'Araignée) et Ryuzo Kikushima (Le Château de l'Araignée, La Forteresse Cachée) pour faire de cette suite, une grande suite.


Car il est évident que pour le réalisateur, le piège, c'est de se répéter et livrer un « Yojimbo » bis ! Pour ça les scénaristes et lui-même créent une intrigue bien plus légère, avec beaucoup d'humour, notamment amené par l'acteur Toshiro Mifune, toujours aussi à l'aise dans le rôle. Mais là où le scénario va se démarquer, c'est par la caractérisation de son personnage principal, qui si il est toujours aussi fort et malin, se montre sous un jour bien plus humain. Et ça des le début de l'intrigue, quand Sanjuro, sort de la pénombre et propose son aide, non sans avoir dressé avec humour un bilan de la situation. Pour ainsi devenir le « père » spirituel de 9 samouraïs certes valeureux, mais un brin naïf.

Sanjuro les aide, oui mais pas à la manière dont il agit dans « Yojimbo » ! Le but c'est qu'aucun des 9 samouraïs ne meurent, et c'est ainsi qu'il est le bras qui guide leurs actes, qui les poussent, qui les retient ou qui les giflent quand ils se trompent de voie. Sanjuro ne pourfend plus la vie gratuitement, il la préserve et l'on retrouve là, le Akira Kurosawa humaniste, celui qui sert d'exemple, de mentor, ou encore de professeur. Il raconte le récit d'un homme d'exception, a la simplicité désarmante qui va guider les jeunes pousses dans ce monde fait d'infamie, un vrai héros. Tsubaki Sanjuro comme il se fait appeler, est loin d’être cynique, car tout comme le pseudo dont il s'affuble, il cache autant sa propre identité qu'il protège sa personne, seul sa générosité transparaît, avec force et désinvolture. Si dans « Yojimbo » c’était un anti-héros, on découvre ici le héros qu'il y a derrière « Sanjuro », celui qui se sacrifie pour préserver les autres.


A cela, il faut ajouter la thématique du double, que l'on retrouve régulièrement chez Kurosawa. Cette fois il agit sur trois niveaux distinct. La plus simple, c'est que « Sanjuro » est le miroir de « Yojimbo » ou chaque élément de ce film voit une scène de l'autre lui répondre. L'humanité remplace la fatalité, la mort laisse la place à la vie et le héros, l'anti-héros du premier film, avec comme point final un homme qui ne veut plus ôter la vie gratuitement. Ensuite il y a les différences entre les deux personnages « Sanjuro », l'un est presque mutique, l'autre communique, l'un tue pour se faire remarquer, l'autre aide des hommes a se faire remarquer, l'un se moque de la vie quand l'autre souhaite la préserver. Et enfin, il y a celle que cultive « Sanjuro » avec « Hanbei », son rival, un homme aussi fort que lui qu'il a appris à connaître et à respecter, où leur relation culminera dans un duel aussi tragique que bref. Un sursaut de violence, involontairement crue et graphique qui vient clore un film, en rappelant qu'il est toujours plus facile de mettre fin à une vie que de la donner.


Et c'est cet équilibre subtil, entre ce qu'est un personnage et ce qu'il devient que le script de Hideo Oguni et Ryuzo Kikushima déploie toute sa force. Ce dont Akira Kurosawa s'empare pour nous régaler pendant près d'une heure trente, avec un Toshiro Mifune qui bat la mesure ! La réalisation est d'une excellente qualité, les cadres sont choisis avec soin, chaque composition d'image confère au sublime, qui plus est magnifiée par la photographie de Takao Saito. L'utilisation de l'espace est optimum, on ne perd jamais d'idée l'endroit où l'on se trouve, que ça soit au début dans la foret ou lorsque l'action se concentre entre les deux résidences, celle où se trouve Sanjuro et celle de sa cible; le jeu constant avec la profondeur de champ accentue la proximité entre les personnages et l'utilisation des noirs à l'écran comme lors de la première apparition de Sanjuro à l'écran est a la fois étonnante et totalement iconique. Le montage, réalisé avec soin, rythme idéalement les scènes, comme le film et la musique de Masaru Sato accompagne ça avec talent . Quant au casting, si on note la présence Yuzo Kayama, Takashi Shimura ou encore Takako Irie, c'est bien la présence de l'illustre Toshiro Mifune et de l'impressionnant Tatsuya Nakadai qui ont retenu mon attention, deux acteurs de talents qui font vivre ce film avec une sincérité qui fait énormément plaisir.

Sanjuro - 1 Janvier 1962 - Réalisé par Akira Kurosawa

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