Crossroads n°1: La Mort d'un Maître de Thé

by - avril 01, 2018


Toute personne qui aime les films, est bien souvent confrontée aux adaptations de roman. C'est là que l'on commence à grogner. Nous avons eu l'idée de croiser certains romans et leurs adaptations. Vous ne verrez pas ici de billets sur les livres à proprement dit, juste une réflexion sur ce que l'un est l'autre apporte à l'histoire. Leurs convergences et leurs divergences et les richesses, ou les faiblesses que ça fait naître. Ce sont nos crossroads !

LA MORT D'UN MAÎTRE DE THÉ
de Kei Kumai

Pour ce tout premier crossroad j'ai eu l'immense chance de rentrer dans l'univers du thé dans le japon des années 1600. d'abord sous la plume de Yasushi inoué et ensuite dans les pas de de Kei Kumai. Commençons par parler de ce dernier. Ce film très épuré qui eut l'ours d'argent à Venise en 1989 , nous propulse dans un japon mythique.


Vingt ans après la mort de son maître par seppuku, Honkakubo est invité à prendre un thé chez Uraku Oda. Ils commencent à deviser sur la mort de de Rikyu, des rumeurs qui l'entourent, et du pourquoi de cette mort.
Une fois n'est pas coutume, je vous parlerai d'abord des personnages.
Le maître Sen No Rikyu, maître du thé attaché au seigneur Hideyoshi. Si au moment où commence ce film, il est mort depuis plus vingt ans. Il est omniprésent dans ce long métrage. L'aura de son interprète Toshiro Mifune aide à cet atmosphère. Il est la figure de proue d'une philosophie du thé «simple et sain». Il applique cette art au cours de diverses cérémonies dont celles pour les samouraïs avant qu'ils ne partent au combat.
Dans son sillage sont évoqués les maîtres Oribe Furuta et Soji Yamanoue qui avaient la même conception de ces cérémonies, et qui se suicidèrent eux aussi.

Le personnage que l'on suit est Honkakubo moine qui fut l'ultime apprenti de Rikyu. Il converse tous les jours avec l'esprit de son maître. Il l'a quitté quinze jours avant sa mort lorsqu'il est parti en exil. Interprété par Eiji Okuda, les choix fait par la réalisation autour de lui sont intéressants. Pour le laisser dans cette position d'apprenti perpétuel, le réalisateur ne le vieillit que peu. Et l'acteur garde une gestuelle quasi juvénile, élancée, et dynamique. On lui blanchit 
légèrement les cheveux , c'est tout. Et c'est bien vu.

Puis il y a Uraku oda, dignitaire qui se proclame maître du thé, d'un thé différent, un thé de paix. Qui à la fois essaie de se différencier de ses prédécesseur. Mais est fasciné par la mort de maître
Rikyu, et par son pourquoi.

Si les personnages sont si importants, c'est qu'ils donnent le ton du film. Et c'est pour cela que c'est par eux que je commence. La réalisation fait un film simple et sain dans sa forme.
Et c'est dans les décors que c'est le plus marquant. Ils sont tous, sauf un, épurés. L'intérieur de la maison de Honkakubo, il est un moine désargenté, sa maison est sombre et sobre, son seul luxe est un autel où il prie pour son maître. Il y a très peu d'objets. Les autres sont en général des salles de thé en période de guerre. Avec des tatamis au sol et le minimum nécessaire pour faire le thé.
Les décors extérieurs respirent le zen. Un cours d'eau qui s'écoule, lentement, sous le soleil, sous la pluie, sous la neige. Un cimetière où un râteau a tracé des sillons éphémères propres à la méditation. Puis l'extérieur de la maison de Honkakubo le jardin fleuri en fonction de la saison.
Ça fonctionne à merveille, ça nous rend concret le style de cet homme, que nous ne sommes pas capable d'imaginer par notre manque de références. Ça nous met dans une disposition très particulière. On est immergé.

Une scène dénote. Une cérémonie de thé, effectuée avant le départ pour la guerre des samouraï. Et tout d'un coup le spectateur sort de sa bulle et du milieu ouaté des salles de thé. Les contrastes sont plus forts, les couleurs sont plus vives. Et Rikyu nous apparaît bien seul face à ces hommes.

Et là encore c'est tellement bien réfléchit. On nous parle beaucoup de la violence qu'à vécu ce maître, de voir partir tant d'hommes vers leurs morts. Et là c'est plus que des mots. La violence est palpable, sans jamais être présente.
Bien évidemment les plans sont  pensés. Chaque mouvement de la caméra semble nécessaire, pour exprimer une émotion. Il n'y a aucune fioriture, ni rien qui pourrait faire de l'ombre aux messages du film. Ça se ressent aussi dans les transitions, quasi inexistantes, brutales et tranchantes comme une lame.

Le seul bémol de ce film est aussi une de ses principales forces.
Toshiro Mifune, si talentueux et tellement charismatique, est deux tons en dessus de tout le reste du casting pourtant talentueux. Alors il incarne parfaitement cet homme qui cristallise les interrogations, une personne inoubliable. Mais il écrase un peu les autres acteurs
Ce long métrage traite de plusieurs thèmes dont la mort, mais il est surtout éminemment politique. Transposable sur bien des situations, et spécialement sur les relations entre Japon et Corée.

Ce film est un film que j'ai beaucoup aimé. Après une première scène qui m'a un peu fait peur, je me suis perdue et laissée absorber, il est aussi riche qu'il semble dépouillé. Il est une démonstration du talent du réalisateur mais aussi de ses acteurs. C'est un aussi bon qu’intéressant à voir.




LE MAITRE DE THÉ
de Yasushi Inoue

Si le film respecte dans sa globalité la trame de l'histoire qu'avait écrite Inoue . Le réalisateur décide de changer la ligne chronologique (elle ne s'étale plus sur trente ans comme dans le livre, mais sur quelques mois, et il décale le rôle de Honkakubo. Il n'est plus le narrateur, mais l'histoire continue à graviter autour de lui et on ne s'appuie plus des carnets qu'écrit l'apprenti.

Ça rend possible plusieurs choses. La première est de concentrer l'histoire et de la rendre plus lisible, voire plus facile, ne mettant en image que ce que le réalisateur pense important, et se concentrant uniquement sur Rikyu. Alors que dans le roman, il y a une ouverture qui se créé et notre réflexion est bien plus large.
Ça permet aussi d'éluder le coté subjectif de l'histoire, car ce que l'on sait ne passe plus par le prisme d'Honkakubo. En contre partie on perd de l'humanité. On perd ses moments d'introspections, et la scène d'ouverture du film perd de son importance. Mais ça fait sens, car si le film est intensément politique, le livre l'est bien moins. Pas question que le discours du film puisse être porté que par un seul personnage, et perdre de son universalité. Alors que le roman est avant tout un livre sur la mort. C'est le dernier livre d'un homme qui mouira dix ans après sa publication. Ce livre s'il n'est pas un livre «testament» et a minima un roman où les réflexions sur la vie de l'auteur enrichissent le récit.

Je terminerai sur deux points qui démontrent que voir ce film et lire ce livre vont de paire.
Le premier est d'essayer de vous faire partager le plaisir que j'ai eu de voir(enfin) une cérémonie de thé. Elles ne sont pas tant décrites que ça dans le livre. Ce sont plutôt leurs enjeux sousjacents qui sont exposés. Alors voir transposer ces moments à l'écran en plus menés par toshiro mifune. C'est un peu y être convié. Et c'est un plaisir possible uniquement devant un film

Mais ce petit livre qui n'atteint pas les 150 pages est d'une précision d'orfèvre. Il semble être écrit de manière «simple et saine». Chaque mot compte, il est précis, et il est placé là car il doit l’être. Il est d'une intensité que j'ai rarement rencontré dans les livres. Et ça c'est impossible à retranscrire au cinéma

quelque soit le média par lequel vous voulez découvrir cette histoire, vous rencontrerez une petite merveille, dépouillée, et zen. Mais vous pourrez passer de l'un à l'autre sans avoir une impression de redite, par la volonté d'un homme de mettre plus en lumière l'un des aspects de l'histoire.



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